Kongsberg

Kongsberg (“Montagne du Roi”) est une ville située au sud de la Norvège, au sud-ouest de la ville de Christiania (ancienne Oslo). C’est le plus grand centre argentifère de Norvège et donc un lieu d’étude privilégié par les élèves-ingénieurs.

Carte de la Norvège, Alfred Focqué, 1886, M 1886 (1087).

Ils ont été au moins huit à s’y rendre de 1839 à 1886 :

– Jean-Charles Galissard de Marignac en 1839

– Octave Keller en 1861

– Edmond Nivoit en 1864

– Henri Poincaré en 1879

– Léon Janet en 1883

– Alfred Focqué, Paul Chapuy et Lucien Fèvre en 1886.

 

 

Kongsberg a été le lieu le plus étudié en Norvège avec le centre cuprifère de Röraas, situé plus au nord. Gabriel Jars (1732-1769, chimiste, métallurgiste et nommé membre de l’Académie des sciences en 1768) passe par Kongsberg en 1767 lors de ses voyages. Son ouvrage “Voyages Métallurgiques” est lu par tous les élèves de l’École des mines. Jars y décrit la fabrication de l’acier par la cémentation à Kongsberg. Ses écrits ont pu influencer les élèves sur leur choix de trajet.

Les premiers contacts entre les élèves de l’École et les responsables des mines de Kongsberg semblent avoir été compliqués. Dans le récit de son voyage de 1839 , Jean-Charles Galissard de Marignac se plaint du manque de bonne volonté de l’ingénieur allemand M. Muller en charge du centre de Kongsberg :

Malheureusement, cet ingénieur paraissait fort occupé car pendant 8 jours que j’ai passé a         Kongsberg, il n’a pu m’accorder que bien peu d’instants. Encore était-il fort réservé sur les détails   de son exploitation ; cependant les mines de Kongsberg appartenant au gouvernement, il semble au moins inutiles de chercher à les envelopper d’un mystère qui pourrait faire supposer des motifs d’intérêt personnel chez les personnes chargées de l’administration de ces mines“. M 1839 (233)

Ce qui m’a paru certain, c est que si ces messieurs connaissent bien les procédés qu’ils suivent, soit dans l’exploitation, soit dans le traitement métallurgique et s’ils ont des comptes exacts sur la production, sur les consommations, les combustibles et les autres matières, enfin sur toutes les dépenses nécessaires, ils n’en donnent pas facilement communication aux voyageurs“.

Cachant à peine sa déception, il ajoute que “ce n’est pas là une perte bien grande perte pour la science” car l’état des travaux serait déplorable.

Ces problèmes ne réapparaissent pas dans les travaux des élèves qui suivront Galissard de Marignac. La pratique de visite d’élèves étranger à du se normaliser au fil des années.

Les environs de Kongsberg, Alfred Focqué, 1886, M 1886 (1087).

En 1864, Edmond Nivoit indique que Kongsberg est une ville de 4 à 5000 habitants. La mine d’argent est la raison de l’importance de la ville. On y trouve une manufacture d’armes, une forge et un établissement des monnaies : des lieu liés à l’extraction du minerai.

La ville aurait été fondée en 1623 après la découverte du filon. Les premiers habitants furent des mineurs allemands. Quand Edmond Nivoit visite la ville, le centre métallifère est en déclin. Il ne reste que trois mines en activité sur les quatorze que possédait l’État en 1831.

Les environs de Kongsberg, Jean Charles Galissard de Marignac, 1839, M 1839 (233).

 

Carte géologique de Kongsberg, Lucien Fèvre, 1886, M 1886 (1061).

 

Les mines de Kongsberg

L’expédition de la “Reine Hortense” de 1756 est organisée par le Prince Napoléon. Son but est l’exploration et l’étude des régions du nord de l’Europe : l’Écosse, l’Islande, le Groenland, les îles Féroé et les pays scandinaves. Le récit du Voyage dans les mers du Nord à bord de la corvette la Reine Hortense offre des cas d’études de villes nordiques dont celle de Kongsberg. Les membres de l’expédition ont visité les mines Kongsberg : “elles sont surtout remarquables par la nature exceptionnelle de leur minerai ; il se compose exclusivement d’argent natif […] L’exploitation s’est vivement ressentie de cette circonstance , et elle a passé à travers une série de décourageantes vicissitudes. Presque abandonnée en 1804, elle n’a été reprise qu’en 1815 et continuée à perte jusqu’en 1830, époque où l’on a reconnu un massif d’une grande richesse“.

Contrairement aux descriptions des élèves, celle des membres de l’expédition dont Béguyer de Chancourtois (1820-1886, professeur de topographie souterraine puis de géologie à l’École des mines) offre plus de détails : “l’intérieur de la mine n’a rien de particulier; ce sont des voûtes
sombres qui succèdent à des galeries noires ; le pied glisse dans un sol trempé d’eau et de boue; les parois des conduits suintent l’humidité; des gouttes d’eau noirâtre semblent en tombant mesurer le temps par leurs clapotements cadencés. L’argent, malgré ses qualités précieuses, n’est pas mieux logé que les métaux vulgaires, que le charbon lui-même ; tout au contraire“.

Gravure de la mine de Kongsberg (Voyage dans les mers du Nord, 1857).

Edmond Nivoit indique que l’exploitation de l’argent est concentrée dans trois mines en 1864. Selon Henri Poincaré, elles appartiennent à l’État depuis des siècles.

Les travaux dans les mines de Kongens (du Roi) et d’Armens (des Pauvres) consistent en deux puits inclinés suivant les filons, qui à 130 mètres environ de la surface du sol se divisent en plusieurs parties, réunies a nouveau en un seul à parti de 395 mètres.

Les mines de Kongens et Armens sont proches l’une de l’autre et sont réunies par plusieurs galeries horizontales. On aperçoit deux d’entre elles sur le croquis du centre : celle de Frédéric et celle plus profonde de Christian VII.

Croquis du sous-sol des mines de Kongsberg, Léon Janet, 1883, J 1883 (717).

 

La galerie de Frédéric débouche sur le flanc de la montagne. Elle fait 1100 mètres de longueur et rencontre les puits de Kongens et Armens à 218 mètre en dessous de la surface du sol. Elle sert à l’écoulement des eaux et à l’extraction du minerai.

La grande galerie Christian VII est relativement récente dans l’histoire de la mine. Elle a été commencée depuis plus de 80 ans quand Nivoit visite Kongsberg en 1864. Elle rencontre les travaux à 312 mètres au dessous de la surface. Elle est loin d’être terminée selon Nivoit car elle n’a qu’une longueur de 1978 mètres. Elle est destinée à devenir l’unique voie par laquelle se fera l’extraction du minerai.

Nivoit commente que les travaux ont lieu moins fréquemment au-dessus de la galerie de Frédéric. Le minerai proche de la surface a du être entièrement exploité et donc on creuse plus profondément.

Quand Henri Poincaré visite Kongsberg en 1878, il note que quatre mines sont en activités.

Léon Janet donne son avis sur Kongsberg en 1883 : “Il est peu de mines ayant éprouvé plus de vicissitudes que celles de Kongsberg. On peut se les expliquer facilement si l’on considère que le gîte offre une succession de parties riches et pauvres dès lors lorsqu’on exploite les parties pauvres, les dépenses ne peuvent être payées par les produits mais la découverte de massifs riches donne lieu immédiatement à d’énormes bénéfices“. J 1883 (717)

 

La préparation mécanique

Dans son mémoire de 1879, Henri Poincaré explique en détail tout le processus de transformation du minerai. Le minerais extrait des mines est trié à la main et concassé au marteau (le scheidage). Puis il est bocardé (broyé) et lavé dans les ateliers de préparation mécanique.

Il relève que “la méthode métallurgique et les appareils qui servent à l’appliquer sont déjà relativement fort anciens car ils remontent à plus de vingt ans” mais donnent toutefois des bons résultats. Un des deux ateliers de préparation est vieux de quinze ans mais l’autre a pu, selon Poincaré, profiter des derniers perfectionnements même si tous les appareils ne sont pas encore installés.

Le traitement métallurgique a lieu dans la ville de Kongsberg. Il comprend douze étapes dont plusieurs fusions, du grillage et du raffinage.

Lors de l’année de passage de Poincaré, la mine absorbe le plus de dépenses, près de cinq fois plus que l’usine. On y ajoute les travaux sur les voies de communication et des conduits d’eau et les frais généraux comme les secours aux ouvriers. Cela a coûté 700 000 francs. Le kilo d’argent revient à 175 francs.

Poincaré continue son analyse économique en ajoutant que l’État ne gagne de l’argent que dans deux mines sur quatre et que cela dure depuis trente ans. C’est le Storting (Parlement norvégien) qui décide du budget alloué aux mines de Kongsberg.

Kongsberg est un des rares endroits qui possède du minerai natif, c’est-à-dire pur. Il nécessite donc moins de traitement pour la transformer en produit utilisable. Il est donc moins coûteux et selon Poincaré, c’est cela qui sauve le centre.

Plan des ateliers de Kongsberg, Jean Charles Galissard de Marignac, 1839, M 1839 (133).

Dans la conclusion de son journal de voyage de 1883, Léon Janet dresse un portrait péjoratif de l’industrie minéralurgique scandinave. Toutefois, Kongsberg est le seul site qui donne de « beaux bénéfices » quand tous les autres ont été abandonnés ou reconvertis. Galissard de Marignac note en 1839 que seulement deux mines sont exploitées. En 1861, Nivoit en compte trois et Poincaré en compte quatre en 1879. Selon les chiffres données par Galissard de Marignac, la production a été à son plus bas de 1805 à 1815 et remonterait sans toutefois atteindre son niveau originel. Les élèves en visite à Kongsberg auraient donc été témoins d’une légère renaissance du grand centre argentifère norvégien.